Alors que des vestiges datant de 100 000 ans ont récemment été mis au jour au Maroc, un humoriste tunisien ravive la « rivalité » qui anime les pays d’Afrique du Nord pour déterminer le berceau de la civilisation la plus ancienne.
Célébrons, compatriotes tunisiens : la civilisation la plus ancienne a vu le jour à Gafsa (Sud-Ouest). L’Égypte et ses pharaons n’ont qu’à bien se tenir. » En moins d’une minute sur les réseaux sociaux, l’humoriste renommé Lotfi Abdelli a réussi à promouvoir la connaissance de la civilisation dite « capsienne » bien plus efficacement que plus d’un siècle d’études sur la période préhistorique en Tunisie.
Il a simplement saisi l’opportunité à la fin du mois de janvier en réagissant à un post de la page « Houna Tounes » (Ici Tunis), lequel prétendait que « l’Unesco avait déclaré que la civilisation capsienne, originaire de la ville de Gafsa, vieille de plus de 7 000 ans, est la plus ancienne de l’histoire de l’humanité, surpassant la civilisation sumérienne et égyptienne ». Sans se préoccuper de vérifier l’authenticité de cette information, il l’a immédiatement utilisée pour susciter l’intérêt, taquiner la fierté nationale, et raviver une pseudo rivalité ancienne avec l’Égypte. Cette rivalité trouve ses racines dans la confrontation entre deux visions du monde arabe, celle du rais égyptien Gamal Abdel Nasser et du zaim tunisien Habib Bourguiba, dans les années 1950-1960.
En seulement quelques jours, Lotfi Abdelli génère 300 000 vues, offrant ainsi un élan inattendu à la préhistoire en lui conférant une visibilité accrue. Cependant, il convient de noter que l’information partagée par « Houna Tounes » est en réalité dénuée de fondement. L’Unesco n’a pas effectué de classement officiel ; c’est la Tunisie qui a soumis la proposition d’inscription au patrimoine mondial pour la Rammadiya, également connue sous le nom d’« escargotière d’El Magtaa », située dans le sud tunisien en tant que site représentatif de la culture capsienne. Le malentendu a émergé à partir de l’intitulé et de l’argumentaire de la demande tunisienne publiés sur le site de l’organisme culturel des Nations Unies.
La préhistoire n’est pas une ère obscure, mais simplement une période lointaine qui, dans l’imaginaire collectif, est souvent perçue comme dépourvue de civilisation au sens de la production humaine. Elle est souvent représentée comme une époque où l’homme est décrit comme sauvage, une image entretenue par les religions, le cinéma et la bande dessinée. De manière conventionnelle, l’histoire est généralement considérée comme commençant avec l’avènement de l’écriture, précédée par la période qualifiée de protohistorique, qui fait la transition entre le Néolithique – la dernière phase de la préhistoire – et l’histoire.
Une période peu familière Dans la langue arabe, la préhistoire est dénommée « avant l’histoire » et se confond avec la période de la « jahilya » (de l’ignorance), qui précède l’avènement de l’islam et d’un monothéisme éclairé. Pendant le protectorat français, malgré certaines découvertes, la préhistoire a été relativement négligée au profit de la période antique, avec un intérêt particulier pour l’époque romaine, caractérisée par des artefacts plus nombreux et imposants. Après l’indépendance, Bourguiba, le fondateur de la Tunisie moderne, a préféré s’inspirer des héros numides et du monde carthaginois, faisant du Capsien une préoccupation des préhistoriens.
Le récent buzz a ainsi eu l’avantage de faire découvrir ou redécouvrir aux Tunisiens une période souvent négligée par les professeurs d’histoire et dont ils n’imaginaient pas l’existence. Même les habitants de la région de Gafsa se rappellent vaguement de la présence de chercheurs qui ont exploré les montagnes rocailleuses, suggérant que les abris sous roche pouvaient avoir abrité des hommes préhistoriques. La plupart des sites ont été identifiés au début du XXe siècle par les premiers archéologues, souvent des passionnés de découvertes issus de milieux médicaux, militaires ou géographiques.